Lean manufacturing : vers plus de Valeur dans les processus

« Le terme de « valeur » a repris du lustre depuis que le Lean se focalise sur la création de ce qui fait de la valeur pour le client. » Ainsi débute le billet d’humeur publié par Christian HOHMANN sur son blog, consacré à la ‘Performance Industrielle et logistique, Management et Qualité’. Quelle meilleure introduction que celle d’un pro du Lean pour faire le lien avec les autres disciplines ‘Valeur’ ?

Une démarche très en vogue

Les dernières années ont été  marquées par le déferlement dans l’industrie de la démarche formalisée par Womack et Jones dans les années 90 sous l’inspiration des méthodes de Toyota. Et, tout indique que le Lean va continuer à s’affirmer comme LA démarche de progrès des entreprises industrielles. Des grandes entreprises de l’automobile à l’aéronautique déployant des armées de black belts aux nouveaux venus de secteurs tels que la santé, la démarche Lean, souvent associée au 6 Sigma, renouvelle la conception des gammes opératoires et a opéré des optimisations spectaculaires pour la productivité des processus industriels.

Les tenants de cette démarche d’optimisation des flux et des temps opératoires appliquent aujourd’hui ses principes à d’autres domaines que l’industrie : les processus tertiaires et administratifs, et les processus métiers tels que la R&D ou les achats. D’autres critères que le temps d’un processus sont aujourd’hui optimisés : d’autres coûts que les temps (rebuts, stocks, …), les coûts des fournisseurs présents chez qui l’on déploie le Lean, les temps de l’ensemble d’une Supply Chain, voire plus récemment  l’impact environnemental. Au point qu’on parle aujourd’hui de Lean Management, comme le déclare Gilbert Liégeois – Président de l’Institut Lean France « La Direction Générale se doit d’être le premier promoteur de la Pensée Lean en se l’appliquant à elle-même dès le départ de la ‘Transformation Lean’ de l’entreprise. ».

Des principes Valeur

Le succès du Lean tient sans doute à la pertinence de ses principes fondateurs :

  • une démarche méthodique : le DMAIC -Define, Measure, Analyse, Improve, Control – qui complète élégamment le PDCA qui assura le succès de la démarche Qualité,
  • une mise en évidence, puis élimination, des étapes du p rocessus n’apportant pas de valeur au client du processus,
  • une implication systématique des parties prenantes, en particulier les opérateurs de terrain – qui connaissent le processus et ses défauts et sont aux premières loges pour l’améliorer,
  • des outils d’abord simples pour une mise en oeuvre facile, puis de plus en plus sophistiqués pour les étapes ultérieures d’optimisation: 5S, VOC, muda, SIPOC, VSM, diagramme spaghetti, analyse statistique …
  • une pédagogie soignée, basée sur des outils de communication visuelle pour suivi de la mise en oeuvre, en particulier dans les ateliers

Saluons le succès de cette démarche efficace et humaine d’amélioration de la valeur !

La démarche 6 sigma est dans nos pays le plus souvent associée au Lean. Elle y ajoute une dimension de maîtrise de la qualité du processus, par des outils statistiques d’analyse et de réduction de la variabilité du processus et d’élimination des non-qualités.

Mais des limites …

Mais en parallèle, les pionnier s du Lean s’aperçoivent des limites d’une application trop exacerbée du Lean :des processus trop ‘amaigris’ finissent par user les opérateurs : de nombreux cas d’augmentation des TMS, voire de troubles plus graves ont été décrits dans les mois qui suivent l’optimisation de processus par le Lean, au point que des syndicats rejettent cette dernière comme une ‘manipulation’ !

  • des supply chains trop tendues ont à souffrir de ruptures des maillons les plus faibles ou d’aléas, comme récemment suite aux catastrophes qui touchent le Japon,
  • une fois mis en oeuvre dans un atelier le 5S, la recherche de Muda, etc., puis sur quelques mois une action Kaizen d’amélioration continue, le Lean a du mal à maintenir le rythme d’optimisation et s’essouffle.

La cible du Lean reste limitée au processus étudié, donc pas de challenge systématique :

  • des limites du process, en amont et en aval
  • de l’utilité du résultat du process lui-même = produit/service, pour ses utilisateurs et/consommateurs finaux

De même, le déploiement du ‘mode de pensée’ Lean en dehors des processus reste ‘expérimental’, même si l’application aux processus tertiaires promet encore de beaux jours.

D’autres cibles d’optimisation des processus

Pourtant, extrapoler l’approche Lean à toute l’entreprise est possible, si celle-ci est complétée et adaptée. En effet, l’amélioration de la performance industrielle inclut bien d’autres éléments que le temps de processus :

  • les coûts des consommables, des composants achetés, des machines, bâtiments et autres investissements, des systèmes d’information et autres frais généraux (maintenance, R&D, enca drement, …), les coûts sociaux et environnementaux si importants aujourd’hui ;
  • les revenus liés au processus : la pertinence du produit ou service réalisé, l’innovation qui en augmente l’intérêt pour les utilisateurs, …
  • l’adaptabilité du processus aux évolutions des besoins, entrants, capacités technologiques, concurrents …
  • la maîtrise de l’ensemble des risques : économiques, financiers, techniques, sociaux, environnementaux, sociétaux, …

Comment pallier à ces limites du Lean ? Peut-on encore ajouter de la valeur à cette démarche ? Nous le pensons !

D’autres démarches Valeur

En effet, les plus intéressants des principes du Lean se retrouvent dans d’autres démarches déjà expérimentées dans les entreprises !

Un certain nombre d’autres méthodes sont elles aussi basées sur une approche ‘Valeur’, où :

– la référence est définie non pas par une solution, mais par un but et/ou des objectifs, visant la satisfaction des parties prenantes concernées : « à quoi çà sert ? »

– l’optimisation vise à limiter les ressources à celles utilisées pour ces objectifs : « des ressources, pour quoi faire ? »

– le travail de définition et mise en cause des objectifs et de recherche et de choix de solutions est mené avec les parties prenantes concernées

Les meilleurs spécialistes du Lean ont d’ailleurs compris l’intérêt de complémentarités avec des disciplines : la collaboration avec des ergonomes leur apportent la prise en compte des conditions de travail, et les acheteurs peuvent compléter l’optimisation des coûts, par exemple.

Parmi ces méthodes ‘Valeur’, on trouve bien sûr la plus ancienne : l’Analyse de la Valeur, utilisée depuis des dizaines d’années pour la conception optimale de produits et services.

Un certain nombre de spécialistes de l’AV ont d’ailleurs adapté cette méthode pour l’optimisation de processus -avec succès !-, bien avant que le Lean se diffuse dans l’industrie. Mais cette utilisation n’a que rarement fait l’objet de publication et n’est pas reprise dans le corpus normatif de l’AF/AV. Ces expériences ont montré la pertinence de combiner l’AV avec la démarche Lean :

> Elles partagent des étapes :

  • l’analyse fonctionnelle (externe et interne) d’un processus est très similaire à sa modélisation par VOC, SIPOC, VSM, diagramme spaghetti …
  • l’analyse de la valeur d’un processus vise également les étapes n’apportant pas de valeur au client

> l’AV permet d’autres niveaux de remise en cause du processus :

  • les limites amont et aval du processus, sources classiques d’optimisation et d’innovation
  • les autres coûts que les temps peuvent être ciblés et intégrés à l’analyse : achats, consommables, machines et investissements, overheads … et si besoin le TCO pour l’utilisateur
  • les besoins de TOUTES les parties prenantes concernées sont analysées en les impliquant : ceux des utilisateurs du process -certes- mais aussi ceux des utilisateurs du pr oduit/process réalisé, ceux des opérateurs (avec un CDC sécurité et conditions de travail !), des autres acteurs de la production (maintenance, encadrement, …), des fournisseurs, etc.
  • toutes les étapes du cycle de vie du process sont étudiées, incluant par exemple la qualification du process, ses évolutions, sa fin de vie … De même les étapes du cycle de vie du produit/service réalisé peuvent être étudiées en parallèle, et bien sûr leur impact sur le process.

> le Lean apporte des atouts indéniables : (qui ont trop souvent fait défaut aux spécialistes de l’AV !)

  • une légitimité indéniable dans les ateliers et l’industrie, voire au-delà
  • des outils simples pour les premières étapes de remise en cause du processus;
  • une mise en oeuvre progressive vers des outils plus sophistiqués
  • une communication visuelle qui assure implémentation et pilotage sur le terrain

Les spécialistes du Lean et de l’analyse de la Valeur ne pourraient-ils pas construire ensemble une démarche Lean-Value d’optimisation combinée des produits et des process ?

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