Trouver des solutions n’est pas la solution !?

« Quoi ?!  Comment un spécialiste de l’innovation comme vous, Olaf, consultant en re-conception optimale de produits et d’organisations depuis tant d’années, peut-il écrire ça : l’innovation ne consiste-t-elle pas à trouver des solutions à nos problèmes ?! » s’écrie notre lecteur 🙂

Eh oui. A l’heure où :

  • le Grand Débat tourne (enfin) notre gouvernement vers le ’peuple’ pour écouter ses propositions … et ses doléances
  • le Design Thinking prône l’empathie avec les utilisateurs et l’idéation débridée puis le prototypage rapide … pour corriger les défauts initiaux
  • l’innovation participative tourne (enfin) les entreprises vers leurs employés, leurs fournisseurs, les start-ups … pour disrupter avant d’être disrupté
  • se mutiplient les réunions de brainstorming à post-it, des Legos serious games, … si enthousiasmants pour les participants
  • les entreprises se ‘libèrent’ (de qui ?) … pour se ré-inventer

je fais part de mon expérience[1] :

  • trouver des idées est FACILE ; ce qui est difficile est de trouver LA (les) bonne(s)
  • la créativité n’est PAS le point le plus important à travailler ; ce qui est majeur est de poser la (les) bonne(s) question(s)
  • l’innovation n’est PAS un but ; elle est un moyen de s’adapter à une évolution, souhaitée ou non, avec le plus de sérénité possible, pour tous les acteurs concernés

Mais alors, que faire ?

  1. poser le VRAI problème / projet de progrès

«  Il n’est pas de vent favorable à celui qui ne sait où il va » Senèque

= à quoi sert le projet ?

  1. définir le VRAI but, les VRAIS besoins à remplir

« En toute chose il faut considérer la fin » Jean de La Fontaine

= à quoi sert la solution ?

  1. vérifier ce qui mérite d’être adapté ou non

« Il semble que la perfection soit atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais plus rien à retirer » Saint Exupéry

= que suffit-il, qu’on a déjà ?

  1. ensuite, seulement[2], rechercher qui a déjà atteint ce but, rempli le même besoin

« Celui qui a un ‘pour quoi’ qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec m’importe quel ‘comment’ » Nietszche

= que suffirait-il ?

  1. adapter la mise en oeuvre à chaque situation

« The value of something lies in the using of it » Thomas Edison

= que suffira-t-il ?

En somme, 2 questions seulement et 1 façon d’y répondre :

Cette approche peut être utilisée dans l’ordre présenté ici (logique) ou pas :

  • si l’on part d’un périmètre connu et d’un objectif de progrès clair, l’idéal est l’ordre (chrono)logique, où la recherche systématique de solution n’est faite qu’en étape 4
  • si l’on démarre par la recherche de solution[3](étape 4), il est indispensable de vérifier que celle choisie répondra bien aux besoins (désirabilité, étape 2) à la fois des utilisateurs et des acteurs touchés par le changement (étape 3), peut être mise en œuvre dans les délais requis (faisabilité, étape 5) dans les conditions économiques visées (viabilité, étape 1)
  • si l’on démarre par une liste de ‘doléances’ à corriger, il suffit de les transformer en besoins vis-à-vis d’une solution pour redéfinir l’objectif (étape 1)
  • si l’objectif est une réduction de coûts, on peut démarrer par la recherche de solutions moins chères (étape 4) puis reboucler

Cette démarche est en effet itérative ! Même si l’on en suit l’ordre (chrono)logique, il faudra boucler : la mise en œuvre de la solution devra répondre à l’objectif du projet. Sinon, un autre ‘boucle’ doit être menée jusqu’à atteindre celui-ci dans son ensemble.

Nous avons appelé cette approche le ‘Value(s) Design’, tentative maladroite de branding pour se réapproprier le succès du Design Thinking, aujourd’hui décliné à toutes les sauces (à juste titre !) et y combiner les concepts communs aux autres méthodes Valeur(s)[4].

D’où vient le paradoxe apparent du titre de cet article ?

Tous, devant un problème, nous recherchons évidemment une solution. Et si nous ne la trouvons pas, nous tournons vers des experts dans le domaine pour leur demander une solution.

Un exemple[5] : quand je pars au bureau trop tard sans avoir le temps de prendre le petit déjeuner et que je passe devant une boulangerie, j’entre et demande « un petit pain au chocolat, s’il vous plaît ! » Non ? Jamais je n’exprimerai les ‘besoins’ sous-jacents : 1° j’ai dîné léger, il y a de longues heures > mes réserves d’énergie sont basses > j’ai besoin d’énergie ; 2° une longue journée m’attend + je me suis levé trop tard >  j’en ai besoin maintenant ; 3° j’ai une appétence marquée pour les saveurs chocolatées …

Si vous commenciez ce discours à la boulangère, elle aurait tôt fait de vous demander « Mais que voulez-vous, Monsieur ? ». Et sera bien aise de vous entendre demander « Un petit pain au chocolat ».

Sauf s’il n’y en a plus ! Auquel cas, une bonne commerçante vous répondra avec le sourire: « Je peux vous proposer une tresse au chocolat, elles sont en promotion : 2 pour le prix d’1 !». Peut-être alors ferez-vous part d’un autre besoin ‘latent’ : votre métabolisme trop efficace requiert de limiter les calories ingérées … Et une discussion s’engagera autour des mérites comparés des solutions disponibles …

Cet exemple pour montrer à quel point les humains sont câblés ‘solution’ ! Et non ‘expression des besoins’ : c’est trop long, et c’est difficile !

Pourtant, tout le monde sait qu’une solution sert à répondre à un (des) besoin(s) ?! Là réside le paradoxe : la ‘résolution de problème’ est un processus, dont nous n’avons pas (toujours) conscience.

Les travaux auxquels j’ai eu la chance de contribuer à l’IDCE[6], à partir des travaux de l’Université de Sherbrooke sur le ‘processus de la consultation’, ont souligné les étapes logiques de la résolution de problème, au cœur du métier de tout consultant :

  1. définir la problématique
  2. définir la méthode
  3. définir la solution
  4. mettre en œuvre la solution
  5. vérifier que la solution résout la problématique

Le rôle à jouer à chacune de ces étapes est très différent :

1° facilitateur > 2° méthodologue > 3° expert > 4° ‘faiseur’ > 5° auditeur

Ce qui correspond à une segmentation évidente (mais souvent implicite) du monde du conseil, à des compétences et des profils très différents de consultant.

Pourtant, nous constatons qu’un ‘client’ se tourne le plus souvent vers un ‘expert’ pour lui demander une solution. C’est le ‘paradoxe de la commande’ du fournisseur : doit-il fournir ce qu’on lui ‘demande’ (en expert) ? Ou répondre au ‘besoin’ (en facilitateur) ? A priori, c’est le job du client de vérifier qu’il demande bien ce qui répond à ses besoins. Mais le client a-t-il défini correctement ses besoins ? A-t-il exploré l’ensemble des besoins ? … Si le fournisseur ne répond pas à la demande, le client ira voir ailleurs … S’il répond à la demande et que celle-ci n’est pas correcte, la solution ne produira pas les effets escomptés, et il aura tort …

Et c’est le job du fournisseur de connaître les solutions. Pourtant tous les fournisseurs constatent que les clients sont de plus en plus informés des solutions, et en même temps méconnaissent forcément leurs possibilités …

Un schéma permet de présenter ce processus :

On y voit bien la dérive classique du consultant ’gourou’ : celui qui connaît la solution qu’il faut à son client, sans connaître son problème 😉

Comment résoudre ce paradoxe ? Le ‘bon’ fournisseur répondra évidemment que oui, il est compétent dans la fourniture de la solution demandée. Et tout de suite posera des questions (im)pertinentes pour préciser ou élargir son offre.

Par exemple notre boulangère : « C’est pour manger tout de suite ? » ; « Vous connaissez nos promotions ? » ; « Une boisson avec ça ? » ; « Une serviette ? » ; « Vous êtes du quartier ? Vous savez que nous proposons de nouvelles recettes tous les jours ? Vous déjeunez où ? » ; …

Une demande, donc un problème sont toujours issus d’un besoin non-satisfait. Les meilleures questions de ‘facilitation’ sont donc celles qui permettent de faire exprimer au client ses besoins ! Le consultant qui pose ces questions ne fait pas de la ‘vente’ : il fait déjà du ‘conseil’, de la ‘facilitation’ pour aider le client à exprimer -voire prendre conscience- de l’étendue des vrais besoins cachés derrière sa demande. Le client comprend ainsi qu’il peut avoir confiance dans let ‘expert’, puisque celui-ci prend en charge le rôle de ‘facilitateur’ : tout peut arriver, il saura l’aider à trouver LA bonne solution !

Conclusion : redonnez du (bon) sens à vos solutions !

Plutôt (ou avant) (ou après) que de trouver des solutions, redonnez du (bon) sens à la démarche : reposez le problème en termes de besoins à remplir pour les parties prenantes !

  • à quoi ça sert ?
  • que suffit-il (pour chaque besoin) ?
  • travaillez AVEC les parties prenantes

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[1]30 ans de métier (vieux, quoi) dans le conseil (même pas ‘doer’, quoi !) dans tous les domaines (même pas spécialiste !) sous tous les horizons (même pas français ! ah si … ouf) et optimiste (bisounours, quoi !) voir mon profil LinkedIn

[2]Ou pas … concrètement, on n’empêche pas les gens d’avoir des idées et ça fait du bien de les faire s’exprimer. Mais il ne doit s’agir que d’une ’purge’ 😉 L’essentiel de la recherche de solutions devra se faire pour chaque  besoin, donc après leur expression.

[3]Comme le proposent p.ex. les ‘hackatons’ et autres brainstormings, et comme le font les acheteurs sollicitant leurs fournisseurs pour des innovations

[4]Voir le conclusion de l’ouvrage collectif « Valeur(s) & Management » qui présente dans sa réédition plus de 20 méthodes qui révolutionnent l’amélioration de la performance d’entreprise dans tous les domaines : Shared Value , B Corps, entreprises libérées, RSE, Blue Ocean, Méthode V3, Pilotage par les processus, Business Analysis, Cartographie d’entreprise, Efficience, Lean, Analyse de la Valeur, création de valeur par les Achats, éco-design, économie de la fonctionnalité, Radical Innovation Design, Valeur Client, Discipline Interactifs, Solution Focus. D’autres sont recensées par le groupe LinkedIn Valeur(s) & Management

[5]Pour ceux qui préfèrent un exemple moins prosaïque, voir l’article « Votre client est roi ? Traitez-le en Petit Prince » ou l’ouvrage « à quoi ça sert ? »

[6]Institut pour le Développement du Conseil d’Entreprises, une « Ecole des Consultants » créée à Angers avec le soutien des syndicats du Conseil Syntec Management et CICF Management, devenue depuis un Master de l’Université Catholique d’Angers

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