Création de valeur par les achats

Une fois n’est pas coutume, ce blog ne publie pas qu’un lien vers un article ‘Valeur’ rédigé par un auteur de référence, mais présente l’état de la réflexion sur un sujet en pleine ébullition : les achats comme acteurs de la création de valeur.

Cet article présente l’état de la réflexion sur un sujet en pleine ébullition : les achats comme acteurs de la création de valeur.

La compréhension de ce sujet varie beaucoup : de la valeur ‘financière’ présentée dans l’ouvrage d’Eric Salviac « Performance et création de valeur par les achats » couronné à la conférence Achats HEC-ACA de janvier 2012, à une vision plus large présentée par Hugues Poissonnier dans son ouvrage sur « Les achats collaboratifs » (éd° De Boeck 2012).

Voici quelques éléments de notre point de vue, qui intègrent classiquement économies, DD et RSE mais élargissent le sujet  :

– La valeur d’une entreprise peut être financière et boursière, c’est le point de vue des actionnaires, investisseurs et de bien des patrons. La contribution des Achats y est bien sûr la réduction des coûts, levier très efficace d’amélioration du profit :

  • par des actions ‘classiques’ sur les prix : mise en concurrence, négociation…
  • d’autres leviers de réduction des coûts très efficaces supposent que les acheteurs ne travaillent pas que sur les fournisseurs et les prix : optimiser ce qui est acheté (quantités et spécifications) et comment (consolidations, visibilité…).

– Mais la partie ‘revenus’ peut aussi être touchée par les Achats :

  • à court terme à travers la maîtrise des aspects Qualité / Délais / Risques : p. ex. la rupture d’une chaîne d’approvisionnement a un impact majeur sur le revenu !
  • à moyen et long terme, à travers la génération d’innovations dans les produits/services issues des fournisseurs de composants, services, outils de production… La maîtrise de fournisseurs-clés peut devenir un avantage concurrentiel majeur.

– L’entreprise a beaucoup d’autres ‘parties prenantes’ à satisfaire que les actionnaires : clients, fournisseurs, employés, société civile et environnement. Leur satisfaction fait partie de la valeur créée par l’entreprise ! Les achats y participent :

  • Clients : améliorer les réponses de l’entreprise par une meilleure conception des produits et services, grâce aux innovations fournisseurs (actuels ou pas) et à leur implication dans la conception (RTC, DTC, AV, innovation de rupture), et par l’élargissement de l’offre de l’entreprise avec des fournisseurs de services complémentaires sur la chaîne de valeur (distributeurs, installateurs, mainteneurs …), jusqu’à modifier l’offre dans une ‘économie de fonctionnalité‘. Le déploiement d’une offre sur d’autres pays peut également être largement facilitée par/avec des fournisseurs.
  • Fournisseurs : leur fiabilité est cruciale (au moins pour certaines catégories), leur satisfaction doit être assurée sur les aspects financiers (leur laisser de quoi vivre, innover et se développer) autant que sur les aspects risques (visibilité) et amélioration continue (supplier development). L’intégration de l’entreprise, de ses clients et fournisseurs dans la ‘chaîne de valeur’ peut être repensée comme un ‘écosystème’ où distribuer au mieux la ‘shared value‘.
  • Employés : les conditions et outils de travail (RSE, ergonomie), de carrière (stabilité / délocalisations) et d’employabilité (compétences technique * économique * international * changement) peuvent être pris en compte autant pour l’entreprise que pour les employés des fournisseurs. Ces aspects éthiques sont de plus en plus pris en compte : voir la Charte des bonnes pratiques pour des achats responsables de la CDAF.
  • Environnement : l’engouement actuel pour les achats durables -tout doit être vert- ne doit pas cacher les disparités entre les motivations des entreprises. Les plus volontaires ont compris qu’une action ‘durable’ combine les impacts environnemental + humain + économique: le ‘vrai’ durable fait faire des économies ! Et l’éco-conception des produits ne peut se faire sans les achats et les fournisseurs.
  • Société civile : respect de la loi, RSE, mise en œuvre de valeurs humaines, minorités, groupes de pression, éthique …

–    Les achats ont aussi des parties prenantes ‘internes’, dont la performance peut être améliorée par les achats par la mise à disposition des moyens nécessaires à leur travail :

  • d’abord par la sélection des fournisseurs et produits répondant aux besoins (category management) et par la sécurisation Q/C/D des approvisionnements, mais aussi
  • en aidant les ‘métiers’ à définir voire challenger et maîtriser leurs besoins (demand management),
  • à prendre en compte voire susciter les innovations proposées par les fournisseurs pour répondre aux besoins aux moindres coûts (redesign to cost)
  • à intégrer dans les choix l’ensemble des coûts : d’achats, mais aussi d’utilisation, jusqu’à un TCO, coûts environnementaux et sociétaux (achats responsables)
  • le rôle de l’acheteur devient alors d’améliorer le dialogue entre utilisateurs et fournisseurs pour assurer la meilleure réponse aux besoins réels aux moindres coûts

Les différents métiers de l’entreprise peuvent d’ailleurs avoir des attentes différentes :

  • Production : optimiser les investissements, générer des innovations en équipements, participer au choix Make or Buy, pousser le raisonnement en TCO …
  • Finance : générer des indicateurs d’économies, participer à la maîtrise des risques (de change, de rupture d’activité), promouvoir les ‘cost avoidance’ (consommer mieux), générer du cash …
  • RH : choisir les prestataires et actions de formation, de recrutement…
  • SI : optimiser les achats des prestations et équipements
  • Marketing : en faire plus avec le même budget, connaître les autres offres des fournisseurs répondant à de nouveaux besoins repérés par d’autres…
  • R&D : trouver des prestataires, brevets … et faire innover les fournisseurs
  • DD : intégrer les indicateurs environnementaux et humains (et économiques !) dans les produits -avec la R&D- et les prestations des fournisseurs
  • Optimiser les autres moyens classés ‘frais généraux’ : immobilier, facility, location de voitures, …

Les indicateurs de la valeur des achats pour les différents métiers peuvent donc être définis, avec eux, comme la contribution à leurs propres KPIs.

–    L’entreprise cherche a se constituer des rentes autour du  ‘capital client’ (des clients fidèles sont un vrai avantage concurrentiel), mais aussi d’un ‘capital fournisseurs’ (des fournisseurs exclusifs et innovants sont un autre avantage concurrentiel), autant qu’un ‘capital humain’ et de ‘savoir faire’. Et on parle beaucoup de la conservation du ‘capital environnement’ de la planète, à ne pas détruire. La valeur financière et boursière de l’entreprise est certainement impactée par ces ‘capitaux’, même si les indicateurs en sont encore en chantier.

–    Les sujets du jour pour la participation des achats à la création de valeur sont donc entre autres: DD (impact environnemental), RSE (impact envi + social + sociétal + économique), innovation (dans les achats et par les fournisseurs), maîtrise des risques, amélioration de l’efficacité pour de nouvelles fonctions (marketing, R&D, industrialisation, production), etc.

Vaste chantier de recherche que ce sujet, qui met en évidence une nouvelle ambition pour les meilleures directions achats : participer à une stratégie de l’entreprise basée sur un apport de valeur à toutes ses parties prenantes !

Modélisation système de la création de valeur par les achats :


(adapté de « La théorie du système général » JL Le Moigne, 1994)
La modélisation ‘système’ de l’entreprise met en évidence que l’entreprise doit être conçue pour apporter de la ‘valeur’ à chacune de ses parties prenantes, par un échange positif :

  • pour les actionnaires : une valeur économique, où ils reçoivent plus d’argent que ce qu’ils y ont mis initialement, investissement mais aussi participation aux décisions
  • pour les clients : une valeur d’usage, où les produits/services reçus ont plus d’utilité que ce qu’ils coûtent, en argent, mais aussi  en temps d’accès, etc.
  • pour les fournisseurs : une valeur économique, où leur prix dépasse les ressources inclues dans les prestations, mais aussi stratégique, où l’avenir de l’entreprise est préservé
  • pour les employés : une valeur économique, où la rémunération balance le temps, l’énergie et les compétences investies, mais aussi un statut, des conditions de vie, une employabilité, un respect de valeurs  personnelles …
  • pour l’environnement : un impact respectueux sur les ressources (ou une pollution) doit balancer la qualité de vie fournie
  • pour la société (gouvernement, ONG, réseaux sociaux …): le respect des règles de vie communes, des minorités, etc. doit balancer la fourniture d’infrastructures (routes, écoles, sécurité …) et la réputation de la société

On retrouve dans cette modélisation les rôles différents dans l’entreprise, qui gèrent les différents flux qui traversent l’entreprise vers les parties prenantes :

  • flux d’argent (en rouge): des clients vers les fournisseurs, employés et actionnaires
  • flux de matières/prestations/énergie (en bleu) : des fournisseurs et employés vers les clients et l’environnement
  • flux d’information (en noir) : entre les clients, fournisseurs, employés et société

Les différentes strates de l’entreprise gèrent différents horizons de temps :

  • opérations : à court terme, gèrent la transformation des flux entre fournisseurs et clients (approvisionnements, production, logistique, vente, après-vente, trésorerie)
  • pilotage : à court et moyen termes, assure que les opérations suivent les procédures prévues (RH, produits, achats, SI …), restent adaptées et adapte leur fonctionnement aux variations
  • stratégie : à moyen et long termes, définit les positionnements par rapport aux parties prenantes, les objectifs des opérations et les procédures à mettre en œuvre, réagissent aux évolutions de l’environnement (clients potentiels, concurrents, société …)

La même modélisation peut être faite en ‘zoomant’ sur la fonction Achats (triangles blancs):

Cette modélisation ‘système’ met en évidence que les  Achats apportent de la ‘valeur’ à plusieurs parties prenantes, à différents horizons de temps, par un échange pas seulement économique :

  • à court terme (opérations), les ‘approvisionnements’ apportent de la valeur :
    • à la fabrication (puis les clients) : mettre à disposition les produits/services des fournisseurs, avec des indicateurs Qualité/Coûts/Délais
    • aux fournisseurs : payer en échange des prestations
  • à moyen terme (pilotage), les ‘leads buyers / acheteurs famille’ apportent :
    • aux fournisseurs potentiels, des opportunités et une visibilité
    • à l’ingénierie, les remises en question des besoins et des solutions, les analyses de risques QCD fournisseurs
    • aux appros, expertise, contrats-cadres et soutien à négociations
    • à la finance, l’atteinte des objectifs de coûts et les risques encourus
  • à long terme (stratégie), les ‘achats amont’ fournissent ;
    • à la R&D les innovations des fournisseurs et la faisabilité de produits nouveaux
    • au responsable DD, les informations sur le respect de l’environnement et la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise
    • aux fournisseurs, des collaborations stratégiques

5 commentaires



  1. une enquête « création de valeur(s) & Achats » est lancée avec la CDAF et l’Université de la Valeur, répondez-y ?
    https://goo.gl/Wrej17

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  2. La création de valeur par les achats est décidément un sujet chaud dans les achats !

    Une élégante contribution est apportée sur le sujet par l’EM Grenoble et Big Fish dans l’ouvrage ‘Les achats collaboratifs’ : les acheteurs ne sont plus (tous ? seulement ?) les ‘méchants tueurs de coûts et casseurs de fournisseurs’ mais les pivots de la relation fournisseurs, voire les ‘pilotes de l’entreprise étendue’ ? La collaboration est leur nouveau (?) mode de fonctionnement.

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  3. Logica Business Consulting a publié un Livre Blanc « Un nouveau regard sur les achats », issu d’un think tank de directeurs achats qui soulignent l’opportunité de faire évoluer la fonction Achats vers la ‘création de valeur’ pour les parties prenantes, y compris les autres fonctions de l’entreprise.

    voir http://www.logica.fr/we-are-logica/media-centre/thought-pieces/2011/un-nouveau-regard-sur-les-achats-logica-business-consulting/

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