Notre confrère Frédéric Bascunana nous signale un article de Martin Duval, Fondateur et Président de bluenove, pourfendant le processus d’Appel d’Offres des achats comme un ‘tue l’innovation’.
Ils ont raison ! L’AO, outil si familier des pros des achats, est bien souvent un frein à l’innovation, puisqu’il décrit précisément la fourniture attendue !
L’article a donc reçu un nombre impressionnant de commentaires, quasi unanimes pour crier haro sur le baudet. Alors pourquoi cette pratique est-elle si courante ?! Je n’ai pu m’empêcher d’y réagir …
Conseil en ’innovation achats’ depuis plus de 10 ans, je propose de nuancer cette ‘évidence’ et de me faire l’avocat du diable. Tant d’acheteurs sont-ils conservateurs, timorés, ou en retard ? S’ils ne permettent pas l’innovation dans les appels d’offres, il doit y avoir une raison, non ? Il y en a plein !
- D’abord, l’AO ne sert pas à innover … il sert à décrire la solution attendue par les utilisateurs, que l’acheteur est chargé par eux de trouver au meilleur prix
- les acheteurs pros savent que la mise en concurrence des fournisseurs est le meilleur moyen de stimuler leur compétitivité
- l’éthique veut que les fournisseurs aient la même information pour faire la meilleure offre : le meilleur outil est alors l’appel d’offres, non ?
- les acheteurs n’ont souvent pas le droit d’innover : la conception et la spécification des produits de l’entreprise et de ses composants est du ressort de l’ingénierie, non ? L’acheteur peut-il endosser la responsabilité technique ?
- souvent il n’est pas pertinent d’innover, ceci supposant d’avoir le temps de valider la nouvelle solution, et que l’économie potentielle soit supérieure au coût de la validation et au risque encouru
- la comparaison des solutions différentes peut faire manquer une opportunité : mettre en concurrence les fournisseurs potentiels sur la même solution
- limiter le travail de sourcing : jusqu’où élargir le marché fournisseur pour des innovations ? Si j’achète des boulons de 12, dois-je sourcer des fournisseurs de boulons de toutes tailles, de toutes matières, inclure des fournisseurs de rivets, ou élargir aux fournisseurs de soudures … voire reconcevoir des pièces en 1 seul morceau ?
- ne pas inquiéter des fournisseurs ‘classiques’, performants en coût mais pas en innovation (p.ex. en Best Cost Country) ils hésiteront à présenter leurs solutions simples et efficaces si l’innovation est un critère de sélection
- Et on peut continuer …
Alors que faire pour conserver le beurre (ouvrir à des solution innovantes) et l’argent du beurre (les économies) avec le sourire de la crémière (l’acheteur et les limites de son job) ? Des années d’expérience ont montré l’intérêt :
- ne lancer des AO ‘ouverts’ que si l’enjeu est important et le temps suffisant pour étudier de vraies alternatives
- formuler les spécifications à différents niveaux : description technique de la solution actuelle (elle pourrait rester la mieux disante !) + description des spécifications fonctionnelles (elles sont les vrais critères de sélection de la solution retenir) + des idées de variantes (pour aiguiller les fournisseurs vers les niveaux d’innovation acceptables)
- choisir les solutions mieux disantes : celles qui répondent aux performances requises (spécification confusionnelles) au meilleur coût complet achat + utilisation sur tout le cycle de vie), en incluant idéalement les impacts sur l’environnement, la sécurité, le territoire, le cash … pour ouvrir aux innovations de business models autant que techniques, à l’économie de fonctionnalité, etc.
- mener ce processus de sélection de la solution avec toutes les fonctions concernées : achats + ingénierie, finance, RSE, utilisateurs, etc. pour que chacun porte sa responsabilité et utilise ses compétences
- procéder en 2 étapes au moins : 1 AO ‘ouvert’ à variantes pour récolter les meilleures idées innovantes et voir comment elles se comparent aux solutions ‘classiques’ + 1 AO ‘fermé’ sur les solutions techniques validées par les ingénieurs et utilisateurs, pour une mise en concurrence optimale.
L’innovation n’est pas un but en soi !? L’objectif du processus achats est de satisfaire les besoins des utilisateurs et autre parties prenantes aux meilleurs coûts. L’expérience m’a montré que très souvent le fournisseur le mieux placé pour innover est … le fournisseur actuel ! Pensons déjà à l’associer en amont des AO pour lui demander ce qu’il a dans ses cartons. Et s’assurer que la relation est assez bonne pour qu’il innove toujours pour vous d’abord, son meilleur client ?
Permaliens