Merci à Youtube de cette vidéo tirée d’une conférence de 2009 réunissant les économistes Frédéric Lordon et André Orléan, introduits par Bernard Stiegler dans le cycle « Economie du désir et désir en économie » organisé par Ars Industrialis. Elle offre une base philosophique à nos travaux ?
Pour alimenter les débats juste après la crise financière de 2008, Frédéric Lordon présentait ses réflexions sur « Ce que la valeur esthétique fait à la valeur économique« , en s’appuyant (joli détour !) sur l’exemple de l’art contemporain et de Damien Hirst en particulier (qui, entre autres, propose un requin plongé dans le formol « The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living » ou un crâne incrusté de diamants, « For The Love of God ») : « de moins en moins art pour l’art, mais de plus en plus art pour le marché » ?
Exposé un peu jargonnant mais très clair (on se sent intelligent rien que de comprendre ce qu’il raconte …) sur fond de philosophie de Spinoza, qui inclut une théorie de la valeur (Ethique, 3-9) : « Nous ne nous efforçons pas vers quelque objet, nous ne le voulons, poursuivons et désirons non pas parce qu’il est un bien mais au contraire nous en jugeons qu’il est un bien que parce que nous nous efforçons vers lui, le voulons, poursuivons et désirons.« .
Donc, le désir ne viendrait pas de valeurs pré-établies, mais les valeurs se construiraient à partir des désirs et des ‘affects’ (envies d’agir). Il n’y aurait pas de bien ou de mal en soi, mais seulement une expérience bonne ou mauvaise. L’affect serait l’opérateur de la valorisation.
Bon, ça se discute ? Je n’en ai pas les compétences, mais je dirai que tout cela agit en ‘boucle de rétro-action’ ?!
Au passage, ce ‘spinozisme’ s’opposerait à l’individualisme actuel, puisque l’esprit ne serait plus souverain sur le corps … (Ethique 2-35) « les hommes se trompent quand ils se croient libres, opinion qui consiste en ce qu’ils sont conscients de leurs actions mais ignorants des causes qui les déterminent« . Je fais le lien avec une autre formule plus simple « la liberté, c’est de choisir ses chaînes » ?
L’exposé continue sur la politique (ou la superstition !) où des ‘affects communs’ se construisent une ‘valeur sociale’ par accumulation d’affects individuels, par la ‘puissance de la multitude’.
Puis sur la valorisation de l’art (où la valeur économique devrait venir de la valeur esthétique ?), manifestement renversée dans les oeuvres de Damien Hirst : la valeur esthétique se réduit-elle à la valeur économique (sans doute pas) ? La valeur esthétique (discutable selon les personnes) explique-t-elle la valeur économique (mesurable à la cote sur le marché) ? Est-ce l’accueil dans une galerie d’art ou au Château de Versailles, dont la valeur esthétique est moins discutable autant que la valeur économique, qui ‘légitime’ la valeur esthétique des oeuvres de Hirst ? Ou est-ce la cote atteinte aux enchères qui légitime la valeur esthétique de l’oeuvre ?…
« Cet état de quasi-fusion des valeurs esthétique et économique favorise le dévoilement d’une vérité également repoussée dans tous les champs, à savoir l’absence de fondement substantiel de toutes les valeurs et la manifestation de la valeur comme effet relationnel et structural. La philosophie de Spinoza donne à ces interrogations des fondements conceptuels à la fois rigoureux et productifs, puisqu’elle permet d’envisager une théorie explicitement transversale de la valeur, utilisable dans la diversité des domaines où l’idée de valeur fait sens. »
La synthèse de Frédéric Lordon (voir vidéo à 12’45 ») correspond étonnamment à nos travaux :
- « la valeur n’a rien d’intrinsèque aux choses
- elle leur advient toujours du dehors
- d’un dehors social, dont la nature est en dernière analyse affective
- autour de chaque chose il y a affrontement de valorisation, par affrontement d’affects communs partiels interposés
- ces affrontements sont médiatisés par des structures institutionnelles, c-à-d. des affects communs pré-constitués, par exemple le musée, la galerie … «
La valeur de quelque chose pour quelqu’un est le rapport entre son utilité perçue et son coût perçu, dans un contexte donné ?