Rupert Sheldrake, docteur en biologiste de l’Université de Cambridge et membre de la Royal Society, et auteur TRES controversé (« parapsychologue » d’après Wikipedia …) , mène des travaux polémiques depuis des dizaines d’années, qui le conduisent à questionner ce qu’il considère comme des ‘dogmes’ de la science. Il plaide pour une science ouverte, dynamique, qui ose dépasser les canons actuels du matérialisme.
Je lisais déjà il y a 30 ans ses chroniques dans le très sérieux journal New Scientist, où il proposait d’expliquer des phénomènes animaux comme « ces chiens qui savent que leur maître va rentrer ». Trop british pour être sérieux ?
Dans ‘Ré-enchanter la science » (titre plus positif que l’orignal anglais « the Science delusion ») il présente 10 ‘vérités objectives’ de la science actuelle, leur origine et leur histoire, présente des faits et théories qui les bousculent, et propose des expériences pour vérifier leur bien-fondé. Sa thèse : démontrer brillamment que la science, libérée de ce carcan, serait plus libre, plus intéressante, et peut-être plus amusante !
Les 10 dogmes de l’« idéologie matérialiste » remis en cause :
- la réalité ne peut être que matérielle ou physique, même les humains sont de ‘pesants robots’
- La matière est inconsciente, matière morte sans vie ni subjectivité
- La quantité totale de matière et d’énergie reste constante, sauf au Big Bang
- Les lois de la nature sont immuables
- La nature n’a aucune intention, l’évolution n’a aucun but
- Tout héritage biologique est matériel, par la génétique
- L’esprit est à l’intérieur de la tête, la conscience est le résultat de l’activité cérébrale
- Les souvenirs sont stockés sous formes d’empreintes matérielles par le cerveau et disparaissent près la mort
- Les phénomènes inexpliqués tel la télépathie sont des illusions
- La médecine mécaniste moderne est la seule réellement efficace
A cela Sheldrake oppose d’une part une revue très documentée de l’histoire des sciences et des philosophies : de Aristote à Richard Feynman ou René Thom. Il présente bien sûr de nouvelles théories, entre autres sa théorie des « champs morphiques », selon laquelle la matière baigne dans des « champs » de conscience collective. Nous baignons en effet dans les champs : gravitationnels, électrostatiques, magnétiques. Les champs ‘morphiques’ donneraient forme aux choses et aux pensées, guideraient un embryon dans sa croissance, par mimétisme avec les générations précédentes, ils stimuleraient la croissance des cristaux, ils informeraient les animaux en expliquant des phénomènes ‘télépathiques’ … Pas simple … car aussi difficiles à décrire que les champs magnétiques, qu’on ne peut eux aussi décrire que par leurs effets sur les particules magnétiques !
Pas étonnant que ses positions provoquent un rejet passionné par de nombreux scientifiques :
son TEDx talk sur « the Science delusion » à Whitechapel fait partie de ceux qui ont été ‘bannis‘ ! (Saviez-vous que ça existait ?). Regardez le TED talk mais lisez surtout le livre, où il déploie tous ses arguments, mieux que dans les 18 minutes du format TED… Et les critiques, qui méritent d’être analysées !
Pas étonnant qu’il ait rejoint les signataires du Manifeste pour une Science post-matérialiste, déjà cité dans ces pages.
(Mon Dieu, vous écriez-vous, Olaf de Hemmer verse dans la parapsychologie ?! Oui, un peu comme Galilée à l’époque : les innovations viennent toujours des bords … Mon ami et confrère Djémil va pouvoir déchaîner ses commentaires 😉 Du moment que le raisonnement et le dialogue sont ouverts : discutons !)
La nature n’a aucune intention, l’évolution n’a aucun but ?
Ce qui m’intéresse en particulier dans ses travaux -outre le courage d’un vrai penseur sans contrainte autre que le raisonnement et prêt à mettre ses idées en test- est le chapitre où il pourfend l’idée que l’évolution et les organismes vivants n’aient pas de sens, de direction. Cette prémisse étant celle de l’approche système (citée par Sheldrake) que nous pensons à la source de l’approche Valeur(s), il me paraît intéressant de présenter quelques-uns des points de ce chapitre :
- Pour Aristote et Thomas d’Aquin, tout vivant a des buts « causes finales », accordés par l’âme : croître, survivre, se reproduire.
- Pour les mécanistes, dont Descartes qui sépara l’esprit (« cogito ergo sum ») et le corps (« les 4 principes pour bien mener sa raison »), les seules causes sont passées. Ses idées ont été extrapolées par les ‘néo-matérialistes’ qui ont ensuite nié l’âme pour ne garder que la matière : l’esprit serait une émanation, une sécrétion du cerveau.
- Pourtant, les comportements de tout vivant découlent de (ce genre de) buts, même lorsque les plus fervents ‘néo-matérialistes’ prétendent comme Richard Dawkins que l’humain est le jouet de ‘gênes égoïstes’ (l’égoïsme des gênes n’est-il pas un but ?).
- même les attractions gravitationnelles, magnétiques, électriques, ont une ‘direction’, un sens, pourquoi la vie n’en aurait-elle pas ? Alors que les physiciens quantiques en sont à penser que la matière n’est pas descriptible (voire n’existerait pas !) sans observateur, et/ou que certains processus quantiques remontent le temps … Autre exemple, les formes possibles de repliage des protéines sont trop nombreuses pour être expliquées sans recours à un ‘attracteur’ vers lequel elles tendraient.
- 3 approches holistiques pourraient expliquer ceci :
- dans la théorie systémique, des modèles expliquent les propriétés émergentes (NdA : dommage qu’il n’en dise pas plus ?)
- René Thom les explique par des formes et structure mathématiques, dont le pouvoir explicatif diminue cependant avec la complexité
- Sheldrake suppose des champs morphogénétiques, agissant dans le temps, dans les 2 sens (!)
- Il conclut ce chapitre en notant que toutes les religions considèrent la conscience comme essentielle pour l’humanité, avec la possibilité de participer à l’Etre ultime. Que des scientifiques comme Sir Alister Hardy ont étudié des milliers de gens avec une expérience mystique ou de mort imminente, sans l’expliquer par les modèles mécanistes.
Si vous êtes aussi intrigué que moi, lisez cet ouvrage qui propose une analyse critique ouverte d’une science réticente à explorer d’autres paradigmes !?