La démarche Valeur(s) appliquée à la formation professionnelle

bluewavesCet article inaugure une série de présentations d’applications du raisonnement Valeur(s) à différentes problématiques de performance d’entreprise. Ici, l’optimisation du budget de formation d’une entreprise, dotée d’une DRH professionnelle et d’une équipe de formation interne, est l’occasion de montrer que ce raisonnement s’applique aussi à des problématiques RH.

Une filiale de 1000 personnes d’un groupe français de services a souhaité optimiser son budget « formation » : 600K€/an. Non pas que ce budget soit trop important : le DRH est assez fier d’y consacrer 7,5% de la masse salariale … mais il subit des dépassements de budget chaque année et a le sentiment de ne pas maîtriser la rentabilité de cet investissement[1].

Un petit groupe de travail, rassemblant le Responsable Formation, un manager de la force de vente (grande consommatrice de formations) et un chef de projet, choisissent d’appliquer à ce sujet le raisonnement ‘valeur’ :

  • définir un référentiel des besoins : « la formation, à quoi çà sert ? », afin de repérer les services à rendre et ceux mal rendus ;
  • repérer les coûts inutiles ou trop élevés : « la formation, pour quoi çà coûte ? », afin de repérer les principes qui rendent les services attendus au moindre coût.

1.     Besoins : À quoi çà sert ?

Les réponses à cette question, pour simple qu’elle soit, ont mené les acteurs à des constats intéressants et permis la ‘redécouverte’ du rôle de la formation.

Les relations entre éléments :

La modélisation système nous permet de formaliser ce qu’est la formation, en représentant ses relations et flux avec les éléments de son environnement lorsqu’on l’utilise :

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La formation – le fait d’adapter les compétences du personnel – est UN des principes disponibles – parmi d’autres – pour qu’une entreprise dispose de compétences nouvelles : les écarts ont-ils été mesurés à partir d’un référentiel ? Les principes alternatifs ont-ils été envisagés systématiquement, malgré leur pertinence dans certains cas : embauche, sous-traitance, stagiaire, mobilité interne …

L’adaptation des compétences disponibles est UN des principes – parmi d’autres – dont dispose l’entreprise pour s’adapter aux évolutions de son environnement. Dans la plupart des cas, une action sur les compétences doit être accompagnée (et peut parfois même être remplacée) par une adaptation des outils, des méthodes, des moyens financiers. Sont-ils disponibles et adaptés?

D’autres leviers de motivation existent pour accroître la performance du personnel : statut, carrière, rémunération, conditions de travail … Ont-ils été étudiés ? Combien de projets de formation échouent par une mauvaise prise en compte de ces facteurs complémentaires : pas de plan de carrière, pas de prise en compte de la surcharge de travail et de la perte de productivité liée à un apprentissage …

« À qui çà sert ? » : les utilités pour les parties prenantes

La formation sert donc au personnel en poste, pour acquérir des compétences nouvelles, pour adapter l’entreprise à une évolution de son environnement. Mais elle sert évidemment à d’autres parties prenantes ! La modélisation des éléments du système permet de les mettre en évidence :

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La formation permet d’adapter les compétences de l’employé pour mettre en œuvre les processus nécessaires à l’atteinte des objectifs de l’entreprise, à travers le manager en charge.

Et elle n’est qu’un des moyens disponibles pour ce faire : attention à ne pas négliger les autres !

D’autres raisons peuvent être à l’origine d’une formation : répondre à une demande du personnel, créer un état d’esprit commun … Ces buts sont recevables, SI ils servent l’entreprise … sinon l’entreprise ne devrait pas les soutenir ?

« Quand ? » : les étapes du cycle de vie

Selon les chercheurs du Institute for Research on Learning de Palo Alto, la formation est un processus qui fait passer chaque participant par des états successifs : l’acteur débute le plus souvent « inconscient de son incompétence », une prise de conscience doit le rendre « conscient de son incompétence », pour acquérir volontiers les savoirs nécessaires à devenir « conscient de sa compétence ». Mais une compétence n’est réellement acquise qu’en étant « inconscient de sa compétence »[2] : cette étape d’entraînement est très souvent négligée, alors qu’elle est seule garante de l’objectif de performance. De même pour la première étape de motivation des participants.

Tout le monde n’apprend pas de la même façon : David Kolb[3] a distingué plusieurs ‘learning styles’ : le divergent apprécie apprendre par l’expérience ; l’assimilateur apprécie les cours théoriques ; le convergent apprécie les projets et les activités autogérés ; l’accommodateur apprécie les exercices en petit groupe.

Un processus complet inclura donc les étapes suivantes :

  1. Objectifs « pour quoi faire ? » : Le formateur introduit le sujet. Il précise les objectifs pédagogiques de la session et intègre les souhaits des participants : quel résultat idéal
  2. Ancrage : Le formateur fait interagir les participants, à partir d’un exercice lié à leur expérience. L’objectif est d’ouvrir la session sur un mode participatif et de faire prendre conscience chacun de ses axes de progrès.
  3. Apports : Le formateur présente les principes, outils, méthodes … tirés des meilleures pratiques de la profession.
  4. Démonstration : Le formateur présente un cas concret : success story… Il s’agit d’illustrer, de répéter le message sous une forme concrète.
  5. Entraînement :Les participants mettent en pratique les outils et méthodes en réalisant un exercice dans un autre domaine, puis sur un/des sujets propres aux participants.
  6. Appropriation : Chaque participant définit un terrain d’application sur lequel il va expérimenter. Le formateur et/ou le manager évaluent l’application réelle avec chaque participant.

+ répétition en cas d’écart !

2.     Ressources : À quoi çà sert ?

Pour décider de ne lancer que des projets de formation rentables, il reste à choisir les moyens les plus économiques pour atteindre leurs objectifs. Le raisonnement ‘Valeur’ sera le suivant :

  • Repérer les dépenses significatives : « combien çà coûte ? »
  • Définir les raisons pour lesquelles elles existent : « pour quoi ces dépenses ? »
  • Mettre en question les solutions coûteuses : « existe-t-il d’autres principes, aussi efficaces et moins coûteux ? »

Les dépenses liées à un projet de formation ne concernent pas seulement l’animation d’un stage, mais toutes les étapes du projet : Conception de la formation / Réalisation des contenus, supports, outils / Mise à disposition et animation / Evaluation / Apprentissage.

La conception et l’animation « gratuite » de formation par des employés coûte parfois plus que des animateurs externes : salaires + charges + manque à gagner par indisponibilité des acteurs à leur poste d’un côté. L’animation en interne sera préférée pour d’autres raisons : confidentialité, ‘culture’ spécifique, formation d’experts internes …

Le principal coût d’une formation étant le salaire des participants, on favorisera autant que possible les moyens qui l’économisent : auto-formation[4], formation hors temps de travail …

3.     Changer quoi ?

A partir de ces ‘nouveaux’ points de vue, il devient possible :

  • de recenser tous les futurs besoins de formation au plus tôt : en recensant les projets d’adaptation des processus de l’entreprise. Tout projet ne suppose certes pas de formation, mais combien de projets de formation « urgents » surgissent tardivement à la DRH, liés à des projets connus pourtant depuis bien longtemps ailleurs dans l’entreprise : nouveaux produits, nouveaux outils, recrutements …
  • d’établir la rentabilité d’une formation : quel est l’enjeu (menace évitée ou opportunité saisie) de l’adaptation de l’entreprise à l’évolution perçue dans son environnement ? Bénéfice supplémentaire, part de marché, capital humain augmenté, conditions de travail améliorées … Bien sûr, la formation seule permet rarement d’atteindre ce résultat[5], rendant difficile le calcul ? Pourtant l’efficacité de la formation peut se mesurer par rapport à l’enjeu : combien perdrait-on sans la formation ? La rentabilité d’une formation devient donc mesurable, non pas seulement par rapport aux objectifs ‘pédagogiques’ mais par rapport au but premier : l’adaptation d’un processus générateur de valeur. Cette rentabilité est souvent difficile à mesurer précisément ? L’important est d’établir – avec bon sens et pragmatisme – le niveau de rentabilité, et son incertitude : le coût est facile à connaître, le gain plus incertain[6].
  • Donc, de ne lancer que des formations rentables. Et ne pas lancer les projets de rentabilité incertaine : si le gain n’est pas largement inférieur aux coûts, ou si le chiffrage n’a pas été fait …
  • De ne plus limiter la formation à l’organisation de stages pour un catalogue interne. Chaque projet doit (et peut) être intégré dans l’ensemble du projet d’adaptation d’un processus, et être piloté par le responsable de ce projet global. Le responsable du processus ‘menacé’ est d’ailleurs le seul à pouvoir mesurer l’enjeu et la rentabilité de l’action. La formation cesse alors d’être simplement un droit du personnel ou une dépense difficile à justifier, pour redevenir un levier stratégique, maîtrisé par un dirigeant.
  • De ne lancer les projets de formation que s’ils sont le meilleur moyen d’atteindre l’objectif d’adaptation global, en vérifiant que les autres moyens ont été écartés : embauche, mobilité interne, intérim …
  • De s’assurer que les conditions de succès de chaque formation sont remplies : motivation, outils et temps disponibles des participants, mise en œuvre réelle, intégration dans les projets stratégiques de l’entreprise, de la DRH …
  • De quitter la logique « budgétaire » annuelle, prévalant souvent : l’entreprise devrait lancer tous les projets de formation recensés, si chacun s’avère rentable.

L’urgence d’un projet – qui aurait alors mené à un « dépassement de budget » – n’est plus un critère pertinent : s’il est manifestement rentable, il faut y investir ; si l’on ne peut assurer sa rentabilité – même par manque de temps pour calculer le gain – il ne faut pas s’y risquer … Seule limite, commune à tout projet d’investissement : l’entreprise ne dispose pas forcément des moyens pour mener tous ses projets, même rentables :

  • Moyens financiers, pour acheter produits, supports et services nécessaires,
  • Moyens logistiques : salles, informatique …
  • Moyens humains : animateurs et participants.

Le moyen le plus limitant est souvent la disponibilité des participants : si l’objectif d’une formation est de rendre la personnel apte à générer plus de gains, il ne s’agit pas de l’empêcher de travailler par un temps de formation excessif.

Le choix de lancer un projet de formation pour des raisons ‘inavouables’ est toujours possible[7]: organiser une « sortie », céder au caprice d’un dirigeant, etc. Mais il devint alors possible d’en arbitrer le coût …

  • Etudier l’ensemble des principes de transmission : la formation ‘en salle’ n’est pas forcément le meilleur principe. On a déjà mentionné l’auto-formation, mais d’autres modes de transmission de savoirs et compétences existent : le parrainage ou compagnonnage ou coaching, les ‘guides’ ou procédures papier ou informatisés, l’expérience directe ‘hands-on’ …
  • S’attacher à l’évaluation : une formation professionnelle digne de ce nom se clôt toujours par une évaluation. Mais attention à ce qui est mesuré : le respect du programme ? L’acquisition de savoirs ? L’atteinte d’objectifs pédagogiques ? L’acquisition d’une compétence nouvelle ? L’amélioration de la performance d’un processus de l’entreprise ?

Les moyens d’évaluation sont variés, autant en coût qu’en pertinence selon l’objectif : échelle de satisfaction, QCM, étude de cas, jury, assessment center, mise en situation réelle, …

L’application de ces principes n’est pas ‘évidente’, même pour un professionnel chevronné de la formation. Comment faire pour assurer cette compétence ?

Résultats

La mise en place concrète de cette démarche s’est faite par quelques adaptations dans l’entreprise [8] : la création d’une « fiche d’opportunité » pour chaque projet de formation, d’un processus de repérage des projets « latents », d’un « comité de formation » et d’un nouveau rôle pour le Responsable Formation :

> La « fiche d’opportunité de formation » définit pour chaque projet :

  • un décideur (opérationnel bénéficiaire), des enjeux (risques ou opportunités et délais), des conditions de succès (autres outils, management…),
  • le choix de la formation parmi tous les principes possibles, ses coûts ‘complets’ (salaires, manques à gagner …), et sa rentabilité (coûts <<< enjeux)

Sa mise en place pour les projets en cours a permis de repérer : des projets sans bénéficiaire (sic !), pour lesquels des moyens manquaient (une formation sur un outil informatique lancée bien avant  son acquisition …), pour lesquels d’autres moyens seraient plus efficaces (embaucher des commerciaux d’un partenaire sur un nouveau produit), ou les moyens étaient disproportionnés (développer en interne un support électronique d’autoformation à un outil bureautique grand public)

>  Une veille des projets « latents » est mise en place : le Responsable Formation interroge tous les 3 mois les chefs de projets de la banque sur les besoins futurs liés à leurs projets. Ce processus a permis de ’lever’ à peu près autant de projets de formation que la ‘fiche d’opportunité’ avait permis d’en écarter. Le résultat est donc moins de diminuer le budget prévisionnel (toujours très facile à réduire : il suffit de le limiter !) que d’éviter des dépassements futurs, ou – plus grave – de pénaliser les projets à venir, tout en ne retenant que des projets ‘rentables’.

>  Le « comité de formation » se réunit deux fois par an, non plus pour étudier la rentabilité des projets, déjà validée à ce stade, mais pour valider l’instruction des ‘fiches d’opportunité’ et arbitrer entre les projets si les ressources disponibles – surtout humaines – ne suffisent pas.

>  Le rôle du Responsable Formation a largement évolué : d’une ‘sous-traitance opérationnelle’, il est devenu ‘coach’ des porteurs de projets, appuyé par un « Guide de conception d’une action de formation » reprenant les éléments nécessaires à l’expression des besoins, enjeux, coût, alternatives, critères …

Conclusion

Le professionnel des RH qui lit ce document aura compris qu’il ne s’agit pas d’une ‘recette’ à appliquer à son cas : chaque entreprise est différente, les besoins et les solutions évoluent tous les jours, et les choix de chaque DRH devront s’y adapter ! Toutefois, la pertinence des questions au cœur de la démarche Valeur(s) aura sans doute été montrée par cet exemple : n’hésitez pas à conduire le même raisonnement sur vos problématiques de formation et de RH.

Olaf de Hemmer

 

 

[1] Notons au passage le caractère innovateur de ce DRH, qui considère que la formation est un investissement, et se soucie d’investir de façon rentable !

[2] Rappelez-vous la difficulté pour un conducteur débutant de maîtriser tous ces gestes et réflexes, qui seront exécutés plus tard en pensant à toute autre chose …

[3]Kolb,D. (1985). Learning Style Inventory: Self Scoring Inventory and Interpretation Booklet. Boston, MA: McBer & Company.

[4] un calcul de coût du même projet en salle ou auto-formation a montré un rapport de 3 à 1 !

[5] d’autres moyens sont nécessaires, conditions de succès de la formation – voir plus loin.

[6] Un exemple : un projet de formation vise à améliorer les compétences d’une partie de la force de vente de l’entreprise, afin de professionnaliser ses contacts avec un segment de clientèle, aux exigences particulières. Le gain attendu de cette formation peut être approché comme suit :

  1. sans formation, l’incompétence relative des vendeurs fait perdre quelle part de marché ?
  2. quel bénéfice supplémentaire est généré par un client de ce segment, s’il est géré correctement ?

La formation sera lancée SI son coût prévisionnel est LARGEMENT inférieur au gain espéré (nombre de clients * bénéfice supplémentaire) et que les autres conditions de satisfaction de ces clients (produits et communication adaptés …) et des vendeurs (meilleures commissions, objectifs progressifs …) sont remplis.

[7] Mais çà n’arrive que chez les autres, bien sûr …

[8] Avertissement : nos lecteurs auront compris que, comme pour tous les exemples d’application de la démarche Valeur(s), ces éléments sont présentés à titre d’exemple et non comme des conclusions d’expert  sur le sujet ! Plutôt que de reproduire ces solutions, notre démarche sur le même sujet pour un autre client serait de suivre avec les acteurs concernés le même raisonnement, ce qui nous mènerait très probablement à d’autres solutions.

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