Hôpital, Lean Management et bon sens

Frédéric Spinhirny, Directeur des ressources humaines de l’Hôpital Necker-Enfant Malades et auteur de « Eloge de la dépense » (2015), publie sur LinkedIn un article « Hôpital, Lean Management et bon sens » présentant le Lean Management et ses limites pour l’amélioration au monde hospitalier.

La pratique du Lean Management est -à l’hôpital comme ailleurs- souvent bien éloignée de l’esprit initial du Lean qui vise à limiter les moyens mis en oeuvre au nécessaire et suffisant pour répondre aux besoins des clients et des acteurs d’un processus.

Comme le souligne l’auteur, il s’agit bien de ‘bon sens’. Mais comme Descartes l’écrit dans son ‘Discours de la méthode’, si « le bon sens est la chose la mieux partagée  » c’est (on oublie trop souvent la fin de la citation !!!) « car chacun pense en être si bien pourvu, que même ceux qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. » Le bon sens n’est en effet pas le sens commun ! Chacun a le sien … D’où le besoin immense de définir ce sens (but, direction, signification …) commun pour que tous les acteurs d’une organisation oeuvrent ensemble pour le bien de chacun.

Le Lean est une des nombreuses méthodes qui mettent en oeuvre le raisonnement Valeur(s) (voir « Valeur(s) & Management » Ed° EMS 2013), qui tient en 3 points-clés : 2 questions et 1 principe

  1. A quoi ça sert ? Pour définir le but, les performances requises de la solution étudiée, ici une entité hospitalière.
  2. Que suffit-il ? Pour mettre en évidence les moyens nécessaires et suffisants à remplir chacune des performances attendues
  3. Travailler avec les parties prenantes : pour savoir à quoi ça sert, le plus sûr est de demander à ceux à qui ça sert : les utilisateurs d’abord ! Pour étudier les solutions alternatives, le plus efficace est de collaborer avec les acteurs de la solution et les fournisseurs actuels et potentiels. 

Le Lean originel vise à appliquer ces points à un processus industriel : le processus ne doit consommer que des ressources qui contribuent à répondre à ce qu’attend le client du processus. D’où la chasse aux gaspis. Et impliquer ceux qui connaissent le mieux le processus et devront s’adapter à ses éventuels changements : les opérateurs. Extrapolé au Lean Management, il applique le même raisonnement d’amélioration continue aux processus administratifs ou tertiaires.

Appliqué à l’hôpital, ce raisonnement amène à des constats paradoxaux :

  1. A quoi sert l’hôpital ? Et à qui sert-il ? A priori aux clients-patients ? Sans eux, pas d’hôpital … Que souhaitent-t-il ? Guérir au plus vite, ou au moins ne plus souffrir, vivre le plus longtemps dans le plus grand confort …
  2. Que suffit-il ? A priori, un diagnostic et un traitement adapté suffisent. Mais pour répondre au vrai besoin, le mieux serait de moins tomber malade, non ? Et pourtant, quelle part a la médecine préventive dans notre système de santé ? Celui-ci est donc consacré à la médecine curative. Celle-ci nécessite-t-elle un hôpital, avec son parcours administratif, son hôtellerie, etc. ? L’hôpital impose au patient de venir au médecin : dans quel but ? En réalité, pour faciliter le travail des médecins et des soignants, qui ne doivent plus ainsi se déplacer ! Et pour concentrer en un même lieu l’ensemble des appareillages et des spécialistes de la chaîne de soins. Et ainsi probablement pour limiter les coûts des soins, couverts collectivement par la Sécurité Sociale. Mais en obligeant à combien de déplacements, d’inconforts, de nuits d’hôtellerie des patients et des familles ?
  3. L’hôpital sert ainsi donc au moins autant aux soignants qu’aux patients et à la Sécu : il faudrait impliquer toutes ces parties prenantes pour l’améliorer !

Ainsi, une salle d’attente de médecin hospitalier, si elle est utilisée par les patients, n’est pas là pour leur rendre service : ils seraient évidemment mieux avec le médecin dans son cabinet, sinon chez eux ou dans leur chambre d’hôpital, plutôt qu’assis sur une chaise ou allongés sur un brancard dans un couloir … La salle d’attente sert en réalité à pallier à la difficulté du médecin d’honorer ses rendez-vous à l’heure, à cause des urgences et autres aléas, et à gérer les patients ‘impatients’ arrivés en avance … Comme tout ‘stock’, vu en Lean comme un ‘muda’ = un gaspillage de temps à chasser. Pour limiter les m2 et K€ consacrés aux salles d’attente, ainsi que les heures d’attente inconfortable des patients, travaillons donc avec le médecin, son secrétariat, les patients et les brancardiers ! D’autres solutions apparaissent alors : par exemple, ne déplacer les patients ‘internes’ que lorsque le médecin est prêt à les recevoir ? Ou faire déplacer le médecin, puisque les patients ne bougent pas et restent disponibles ? En gardant la salle d’attente pour les patients en consultation externe ? En rendant les urgentistes compétents jusqu’au rendez-vous avec le spécialiste ? En incitant les médecins et secrétariats à respecter les heures de rendez-vous ?…

De  même, la chirurgie ambulatoire, organisée sans nuitée à l’hôpital, apparaît aujourd’hui comme une solution bien moins coûteuse dès qu’on intègre aux soins le coût de l’hôtellerie, même si elle ‘force’ les équipes soignantes à modifier et contraindre leurs processus.

De nombreuses méthodes s’inspirent de cette approche Valeur(s), si propice au bon sens partagé : le Lean, bien sûr, lorsqu’il est mis en oeuvre dans l’esprit originel, mais aussi comme signalé dans d’autres commentaires, le management socio-économique de Savall, « l’excellence patient » de l’APHP, la « shared value » de Mickaël Porter (dont lapplication au processus hospitalier à fait lobjet dun article de Harvard Business Review), lanalyse de la valeur appliquée aux masques chirurgicaux …

Plutôt que de défendre une méthode (lean ou autre), dont la mise en oeuvre dépend de l’intention du porteur, militons pour l’application d’un raisonnement où le bon sens de chacun est mis en oeuvre pour le bien de tous !?

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