Un ouvrage récent visant la promotion du développement durable m’a étonné par sa proximité avec les fondements du raisonnement Valeur(s).
Il s’agit de l’encyclique du Pape François « Laudato si’ : pour la sauvegarde de la maison commune » ! En voici quelques extraits choisis, reliés avec nos 3 principes-clés (les parties en gras sont surlignées par l’auteur) :
Une vision systémique :
- « tout est lié dans le monde »
- « Le temps et l’espace ne sont pas indépendants l’un de l’autre, et même les atomes ou les particules sous-atomiques ne peuvent être considérés séparément. Tout comme les différentes composantes de la planète – physiques, chimiques et biologiques – sont reliées entre elles, de même les espèces vivantes constituent un réseau que nous n’avons pas encore fini d’identifier et de comprendre. »
- « L’interdépendance des créatures … signifie qu’aucune des créatures ne se suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en dépendance les unes des autres, pour se compléter mutuellement, au service les unes des autres. … »
- « le tout est supérieur à la partie ».
- « Comme la vie et le monde sont dynamiques, la préservation du monde doit être flexible et dynamique… »
- « L’interdépendance nous oblige à penser à un monde unique, à un projet commun. »
- « La conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous, est nécessaire. »
« A quoi ça sert ? » : utilité et fins
- « La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais … chaque créature a une fonction et (qu’)aucune n’est superflue. … La modification de la nature à des fins utiles est une caractéristique de l’humanité depuis ses débuts, … (qui) a porté remède à d’innombrables maux qui nuisaient à l’être humain et le limitaient. La techno-science, bien orientée, non seulement peut produire des choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de l’être humain, … mais encore est capable de produire du beau »
- « si nous parlons de la relation de l’être humain avec les choses, la question du sens et de la finalité de l’action humaine sur la réalité apparaît »
- « les meilleurs mécanismes finissent par succomber quand manquent les grandes finalités, les valeurs, une compréhension humaniste et riche de sens »
« Que suffit-il ? » L’économie de moyens :
- « les coûts humains sont toujours aussi des coûts économiques, et les dysfonctionnements économiques entraînent toujours des coûts humains ». Cesser d’investir dans les personnes pour obtenir plus de profit immédiat est une très mauvaise affaire pour la société.
- « les décisions soient fondées sur une confrontation entre les risques et les bénéfices envisageables pour tout choix alternatif possible ».
- « Seul pourrait être considéré comme éthique un comportement dans lequel « les coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations futures ».
- « la conviction que ‘‘moins est plus’’ … une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu »
L’implication des parties prenantes et de leurs valeurs :
- « Il est nécessaire d’avoir des espaces de discussion où tous ceux qui, de quelque manière, pourraient être directement ou indirectement concernés (…) puissent exposer leurs problématiques ou accéder à l’information complète et fiable pour prendre des décisions en faveur du bien commun présent et futur. »
- « … requiert de la part des acteurs sociaux locaux un engagement constant en première ligne, à partir de leur propre culture »
- « Quand nous nous interrogeons sur le monde que nous voulons laisser, nous parlons surtout de son orientation générale, de son sens, de ses valeurs … : pour quoi passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous ? »
- « Il est toujours nécessaire d’arriver à un consensus entre les différents acteurs sociaux, qui peuvent offrir des points de vue, des solutions et des alternatives différents. Mais à la table de discussion, les habitants locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se demandent ce qu’ils veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui peuvent considérer les objectifs qui transcendent l’intérêt économique immédiat. »
- « au moment où apparaissent de nouveaux critères de jugement à partir de l’évolution de l’information, il devrait y avoir une nouvelle évaluation avec la participation de toutes les parties intéressées »
L’auteur propose donc un questionnement qui m’apparaît très pertinent (sic !) :
- « Dans toute discussion autour d’une initiative, une série de questions devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou non un véritable développement intégral : Pour quoi ? Par quoi ? Où ? Quand ? De quelle manière ? Pour qui ? Quels sont les risques ? À quel coût ? Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il ? »
Les sources de la dérive de notre société vers un désarroi grandissant sont pointées :
le raisonnement scientifique poussé jusqu’à un paradigme technocratique
- « Le problème fondamental est autre, encore plus profond : la manière dont l’humanité a, de fait, assumé la technologie et son développement avec un paradigme homogène et unidimensionnel. Une conception du sujet y est mise en relief qui, progressivement, dans le processus logique et rationnel, embrasse et ainsi possède l’objet qui se trouve à l’extérieur. Ce sujet se déploie dans l’élaboration de la méthode scientifique avec son expérimentation, qui est déjà explicitement une technique de possession, de domination et de transformation. … »
- « On ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs frontières méthodologiques limitées. Si on réfléchit dans ce cadre fermé, la sensibilité esthétique, la poésie, et même la capacité de la raison à percevoir le sens et la finalité des choses disparaissent. »
- « L’économie assume tout le développement technologique en fonction du profit, sans prêter attention à d’éventuelles conséquences négatives pour l’être humain. Les finances étouffent l’économie réelle.
La spécialisation de la technologie elle-même implique une grande difficulté pour regarder l’ensemble. »
le court-termisme :
- « Le drame de l’‘‘immédiateté’’ politique, soutenue aussi par des populations consuméristes, conduit à la nécessité de produire de la croissance à court terme. »
- « On oublie ainsi que « le temps est supérieur à l’espace »,
- « En certains lieux, se développent des coopératives pour l’exploitation d’énergies renouvelables, qui permettent l’autosuffisance locale, et même la vente des excédents. Ce simple exemple montre que l’instance locale peut faire la différence alors que l’ordre mondial existant se révèle incapable de prendre ses responsabilités. En effet, on peut à ce niveau susciter une plus grande responsabilité, un fort sentiment communautaire, une capacité spéciale de protection et une créativité plus généreuse, un amour profond pour sa terre »
Ces pages sont aussi le vecteur d’un message politique fort :
- « Il devient indispensable de créer un système normatif qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes, avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique mais aussi la liberté et la justice.… La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement. … L’alliance entre l’économie et la technologie finit par laisser de côté ce qui ne fait pas partie de leurs intérêts immédiats.»
- « Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une ‘‘règle d’or’’ du comportement social, et « le premier principe de tout l’ordre éthico-social. L’environnement est un bien collectif, patrimoine de toute l’humanité, sous la responsabilité de tous. Celui qui s’approprie quelque chose, c’est seulement pour l’administrer pour le bien de tous »
- « La culture écologique ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et partielles … Elle devrait être un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du paradigme technocratique. »
- « Le XXIème siècle, alors qu’il maintient un système de gouvernement propre aux époques passées, est le théâtre d’un affaiblissement du pouvoir des États nationaux, surtout parce que la dimension économique et financière, de caractère transnational, tend à prédominer sur la politique. Dans ce contexte, la maturation d’institutions internationales devient indispensable »
- « La politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie. »
- « Il s’agit simplement de redéfinir le progrès. Un développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès. »
Etonnant, pour un auteur dont la légitimité paraît tout sauf économique et politique : le Pape François ! L’encyclique « Laudato si » (« loué sois-tu » en français) dont sont tirées ces citations m’apparaît comme un des plus belles synthèse et plaidoyer que l’aie lus pour un nouvel humanisme écologique ! Bien sûr, à destination des chrétiens catholiques, mais aussi de tous les hommes. Les références aux Ecritures et à la théologie chrétienne sont nombreuses. Ainsi, la prière qui clôture le texte :
Prière pour notre terre
Dieu Tout-Puissant qui es présent dans tout l’univers et dans la plus petite de tes créatures,
Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe, répands sur nous la force de ton amour pour que nous protégions la vie et la beauté.
Inonde-nous de paix, pour que nous vivions comme frères et sœurs et les oubliés de cette terre qui valent tant à tes yeux.
Guéris nos vies, pour que nous soyons des protecteurs du monde et non des prédateurs, pour que nous semions la beauté et non la pollution ni la destruction.
Touche les cœurs de ceux qui cherchent seulement des profits aux dépens de la terre et des pauvres.
Apprends-nous à découvrir la valeur de chaque chose, à contempler, émerveillés, à reconnaître que nous sommes profondément unis à toutes les créatures sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours. Soutiens-nous, nous t’en prions, dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix.
Mais l’universalité du message n’aura échappé à aucun lecteur ?
« Pour rendre la société plus humaine, plus digne de la personne, il faut revaloriser l’amour dans la vie sociale — au niveau politique, économique, culturel —, en en faisant la norme constante et suprême de l’action »
Permaliens
Permaliens
Permaliens
Cher Olaf,
Quoique (ou parce que) agnostique, je me sens très proche du Pape François, que j’ai cité récemment dans une analyse du livre Penser global d’Edgar Morin. Il s’oppose au gangstérisme de l’option ultra-financière avec la quelle nos économistes, même de gauche, ont souvent du mal à rompre! pourtant c’est là notre problème majeur. Veut-on agir dans le très court terme, qui conduit au chacun pour soir et après moi le déluge, ou dans le temps long, celui des bâtisseurs?
Permaliens
C’est ma Foi vrai !
J’avais peur, à la lecture de ton introduction, Olaf, que tu n’insuffles un sens caché à des écrits abscons, comme seuls les hommes politiques et les religieux savent en rédiger. Mais je dois avouer que c’était te faire un mauvais procès d’intention, et que ce pape-ci a bien voulu dire ce que tu relèves comme des convergences remarquables avec un certain nombre de nos principes directeurs, pour ne pas dire « valeurs ».
Evidemment, je ne partagerai pas la finalité qu’il donne au monde, en athée que je suis, et ne m’associerai pas à sa prière finale, mais je me réjouis néanmoins de lire ces réflexions frappées au coin du bon sens systémique et du management humaniste sous la plume d’un personnage relativement influent, encore aujourd’hui.
Une occasion de relancer notre manifeste pour plus de « Valeur(s) » dans la décision publique et dans l’entreprise… non ? Mais auprès de quel nouveau public ? Les chefs d’entreprise chrétiens ? Les syndicalistes de la CFTC ? Les managers croyants ?
C’est pas facile, d’afficher un tel parrainage…