« Par 15000 » : une innovation de rupture sur le Chemin

Votre serviteur rentre de 3 semaines de ‘grande randonnée’ sur le Chemin de Compostelle : 550 km à pied entre Le Puy-en-Velay et Eauze, avec une moyenne de 24 km par jour. Et pas une ampoule ! Et ce n’est pas grâce à mon entraînement sportif …

Le voyage mériterait un ouvrage à soi tout seul, mais cet article est l’occasion de témoigner d’une expérimentation réussie, qui pourrait mener à une innovation radicale pour les grands randonneurs ?

Défaut professionnel, je n’ai pu m’empêcher d’appliquer le raisonnement Valeur(s) en préparant ce voyage. Evidemment, en répondant à la 1e question « à quoi ça sert ? » : pour quoi aller traîner sur ces chemins millénaires, rudes et poussiéreux, alors qu’on est si bien chez soi ? Mais la réponse m’appartient, comme à chaque pèlerin depuis le Moyen Âge. Pour savoir, allez-y vous-même 😉

Mais la 2e question « que suffit-il ? » m’a mené -outre les jambes et les pieds à soigner et les topos à commander (merci Miam Miam do Do)- au matériel : le sac à dos et ce qu’il y a dedans : vêtements (chauds, de pluie, de nuit), couchage, effets de toilette, pharmacie, gourde, voire nourriture … pèsent lourd et fatiguent les jambes. Pour ça  il suffit d’un sac à dos. A quoi sert-il ? A reporter la charge sur la route sans passer par les épaules.

Un sujet récurrent entre marcheurs est d’ailleurs le poids du sac 🙂 Si quelques extrémistes ne portent que 4-5 kgs, la majorité porte 10% de son poids soit 7 à 10 kgs. Certains débutants (j’en ai fait partie) démarrent avec 12 voire 15 kgs, que la Poste se fait un plaisir d’alléger dans les 1ers jours de marche (merci aux pros de la Poste de Saugues qui ont sauvé bien des pèlerins !). Des ‘purs’ vont jusqu’à transporter leur tente et la nourriture pour plusieurs jours, mais on n’est pas tous des athlètes (bravo à Wem et Yann).

« Travaillant avec les parties prenantes », je me suis demandé pourquoi il faudrait porter tout ça sur son dos. Au XXIe siècle, non mais allo quoi … Alors que toutes les valises ont désormais des roulettes ! Et qu’on se demande comment on a pu vivre sans, avant ? Pendant quelques semaines, j’ai donc bricolé des solutions pour ajouter des roulettes à mon sac à dos. Sans grand succès : il faut des roulettes assez grandes et souples pour avaler les cailloux, une structure assez costaud pour supporter 10 kg sur de longues étapes, le moins de poids possible …

J’ai donc mis en oeuvre les outils Valeur(s) de créativité :

  • Résultat de recherche d'images pour "caddie"créativité fonctionnelle : ‘brainstormer’ avec des utilisateurs pour imaginer « que suffirait-il pour reporter la charge sur la route sans passer par les épaules ? ». Cela a mené ma fille à une évidence : « tu veux un caddie, quoi ». Elle est bien, ma fille, hein ? Mais l’analyse des fournisseurs de caddie n’a pas livré de solution adaptée : trop peu solides, roues trop petites … même si certains modèles ‘haut de gamme’ auraient pu convenir, ils s’avéraient trop chers à tester pour mon budget, même sans le sac.

 

  • sourcing fonctionnel : recherche des fournisseurs d’autres solutions pour reporter la charge sur la route sans passer par les épaules
    • depuis quelques années, le Chemin de Compostelle peut se parcourir en faisant porter son sac d’une étape à l’autre : la ‘malle postale’ permet aux moins costauds de profiter du même ‘voyage’ pour quelques euros par jour. De même, certains chargent … un âne. Voire un chien, mais juste pour porter ses croquettes 😉 Et l’esprit n’est plus le même ?
    • les meilleurs sites et blogs de pélerins m’ont permis de découvrir que l’idée n’est pas saugrenue : des produits spécifiques existent, développés pour les longues marches ! Différentes versions de charrettes ont été développées : Carrix, Wheelie, Trollix … à 1 ou 2 roues. Pas mal ! Le poids supporté est réduit, tiré par des bâtons accrochés à un harnais. Mais le prix reste un vrai frein : 400 à 800€ ! Pour du beau matos, certes, mais dont l’expérience montre quand même des limites : poids de 5 à 7 kgs, maniabilité limitée, encombrement du harnais … (j’ai pu plaindre 2 marcheurs qui pestaient dans le descente de Rochegude ou la montée de Monistrol-sur-Allier)


 

  • benchmarking fonctionnel : rechercher d’autres domaines (que la randonnée) dans
    lesquels le même problème existe et à déjà été résolu. Ceci a mené à 2 autres pistes :

    • les poussettes pour bébés : même genre de poids à transporter, même type de Résultat de recherche d'images pour "poussettes running"route à parcourir (il faut un modèle ‘running’). Mais coût, poids et encombrement importants.
    • le golf ! En allant dans mon magasin de sport habituel acheter des t-shirts qui sèchent vite (le must) je suis passé devant le rayon golf et ai été frappé d’une évidence : le chariot de golf répond exactement au même besoin ! Evidemment, pas les GROUPE 8 Golf - CHARIOT 2 ROUES 100 INESIS - Chariots de golfmodèles électriques … mais en particulier le modèle le plus bas de gamme, léger (2,2kgs), pliable en 2 secondes, de même encombrement que le sac, déjà équipé de sangles pour attacher le sac de golf, positionnant le sac en équilibre avec tout le poids sur les roues et rien sur la poignée (encore mieux que les charrettes de rando), à un prix ridicule = 40€ ! (soit 10 à 20 fois moins cher que les concurrents)

Cette dernière solution s’est imposée à moi. J’ai décidé de la tester. Verdict : quasi parfait !

Le chariot roule parfaitement sur les portions goudronnées, pourtant souvent désagréables pour les marcheurs qui y attrappent plus facilement des ampoules, en allégeant les pieds de tout le poids du sac ! Dans les descentes, le marcheur se fait même pousser par le chariot. Dans les plus raides, on fait passer le chariot devant. Dans les montées, on doit quand même tirer le poids … Pour faciliter la traction, j’ai ajouté au bout de quelques heures une sangle autour de la ceinture et un mousqueton au chariot : l’effort part ainsi du bassin et non plus du bras qui ne fait que diriger le chariot.

Très bien sur toutes les surfaces herbeuses, sableuses et gravillonnées, le chariot trouve sa limite dans les cailloux et ornières profondes. J’avais initialement attaché le sac à dos dans le sens ‘normal’ (chariot côté bretelles) de manière à accéder facilement au contenu.

Après quelques passages difficiles, j’ai retourné le sac : chariot côté ouverture du sac et bretelles vers le haut. C’est moins esthétique, mais facilite énormément : dès qu’un chemin devient moins lisse, il suffit de reprendre le sac sur le dos, avec le chariot accroché derrière !

Et au cas où le chemin est plus encombré, de replier le chariot : en 2 secondes, l’encombrement est quasi identique au sac.

 

Même le porte-carte de score prévu pour le golf s’est avéré parfait pour garder le guide à portée de main ! Faut juste prévoir une protection en cas de pluie …

Les premiers 550 km du GR 65 (1500 en tout jusqu’à Santiago) ont été parcourus presque sans souci entre Le Puy-en-Velay et Eauze – prononcer « éauze », c’est important pour les locaux, tous les pèlerins savent ça ! Un peu comme ces autres étapes qu’on nomme « MoncuQUE » (prononcer le QUE) et « CondoN » (ne pas prononcer le M) sur la BaÏse » (prononcer le Ï) –. Plusieurs étapes ont été parcourues sans jamais mettre le sac sur le dos ! Pour d’autres aux chemins plus cahoteux, j’ai dû porter le tout pendant parfois la moitié des 24 km de moyenne quotidienne. Le gain est évident : 0 poids quand le chariot roule contre 2,2 kg de plus quand il est sur le dos.

La limite a été atteinte par le déjantage d’un pneu qui ne tenait plus sur la jante, à partir de Montréal (sur le Gers, hein) : apparemment le ‘pneu’ en mousse s’est distendu et n’accrochait plus à la jante. Il faut reconnaître que ce chariot de golf est conçu pour rouler sur des terrains bien plus plats et sans obstacle : les greens évidemment, mais même le pire des ‘roughs’ est plus doux que le moindre pierrier de l’Aubrac. Et le golfeur qui fait rouler 550 km à son chariot sera déjà bien content …

J’avoue aussi avoir poussé l’expérimentation un peu loin : sous prétexte que j’avais des roulettes et ne porterai ‘rien’, j’ai emmené sur le Chemin une tente (4 places de 5,5kg que j’avais à la maison), sac de couchage, matelas gonflable, camping gaz, gamelles … Le tout accroché sur le chariot avec le sac pendant les 2 premières étapes, soit de 18 à 20 kg. Beaucoup trop évidemment sur le chemin, même si les déplacements ‘en ville’ étaient vraiment cool. Le premier déjantage date de la très fameuse descente de Rochegude, magnifique descente dans les rochers à travers bois, dont bien des genoux de pèlerins se souviennent. Autant vous dire que la tente et le reste ont fini rapidement à la Poste. Et que le chariot a dû être fragilisé dès ce début. Par contre, aucun autre problème n’est survenu, alors que je redoutais la casse de fixations de roues ou de jante en plastique.

Cette expérimentation n’est d’ailleurs pas passée inaperçue des pèlerins du monde entier : sa photo doit déjà trôner dans bien des blogs australiens, né-zéolandais, hollandais, américains … Même plusieurs randonneurs adeptes du golf se sont étonnés de ne pas avoir eu l’idée avant 🙂

Quelques améliorations restent toutefois possibles, que je m’en vais proposer à certain concepteur de produits de sport :

  • d’abord, le renforcement de la jonction pneu (en mousse) / jante (en plastique moulé) – même une tentative de collage a échoué. Et/ou la vente de roues de rechange (elles sont très faciles à démonter mais pas en vente …). Comme pour le modèle ‘au-dessus’ de chariot, pour lequel on vend des roues de rechange, mais plus grandes et surtout bien plus lourdes
  • tirer le sac par la poignée est inconfortable à la longue : il a suffi d’ajouter une sangle à la ceinture et un mousqueton pour une accroche rapide et un passage facile du côté gauche au côté droit
  • les sangles d’accroche du sac de golf au chariot sont trop courtes : il a suffi d’en ajouter de plus longues pour le sac
  • le réglage de la position du sac à dos sur le chariot pourrait être facilité : le centre de gravité en roulage doit être au bon endroit pour le confort du bras au roulage
  • cet axe vertical qui ne sert qu’à l’arrêt, pour positionner les clubs dans le sac de golf, pourrait être modifié ou raccourci pour un modèle ‘randonnée’ afin de ne pas gêner la marche lorsque le chariot est sur le dos
  • sur le dos, le chariot plié a tendance à brinquebaler : j’ai ajouté un élastique pour attacher les bras, améliorable avec un ‘clip’ bien placé
  • le positionnement du cadre du chariot pourrait être adapté : les bretelles doivent être à l’opposé des roues pour faciliter la mise sur le dos, ce cadre est en partie redondant avec l’armature du sac à dos, et l’ouverture du sac n’est pas très simple lorsqu’il est fixé au chariot …

Vous pouvez attendre ces améliorations, mais d’ores et déjà, je suis sûr que des marcheurs sont déjà allés dans leur magasin de sport préféré pour s’offrir ce luxe de randonneur : des roulettes escamotables en plus, contre bien des ampoules en moins ! N’hésitez pas à tester le produit tel quel : il a vraiment tenu des centaines de km sans modification. A ce prix-là … c’est l’équivalent d’une semaine de malle postale.

Reste à expliquer le titre de cet article « Par 15000 » ? La longueur du Camino entre le Puy et Compostelle est de 1500 km, divisée par une longueur de coup moyenne au golf (100m) qui donne un ‘par’ de 15000 pour ce parcours fantastique 😉

Comme le disait mon nouvel ami belge Rodg’, pèlerin et golfeur émérite -et auteur de la photo en exergue- « Le fairway est un peu long, mais il paraît que le green est génial ! » (je lui ai promis de faire un parcours au golf de Santiago, une fois arrivé…).

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