Raison d’être ou ne pas être : là est la question ?

Coïncidence ? Au moment du ‘déconfinement’ et de la reprise de l’économie où tous conviennent que « plus rien ne sera comme avant », le mouvement des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC) publie un cahier sur « La raison d’être de l’entreprise au service du bien commun« . (en italique des extraits du cahier) Le thème n’est pas vraiment nouveau -surtout dans V&M- mais il prend une ampleur à la fois passionnante (que de bonnes volontés !) et inquiétante (encore une mode managériale !).

le cahier « Raison d’être » des EDC

Nourries de leur participation au rapport Senard / Notat qui a mené à la récente loi PACTE, et appuyées par les enseignement de la Doctrine Sociale de l’Eglise, ces pages visent à éclairer les managers (chrétiens, mais aussi les autres 😉 ) sur ce qu’une réflexion de leur entreprise sur sa « raison d’être » peut apporter à la fois à l’entreprise et au bien commun.

« La forme de gestion … la plus achevée » est « l’entreprise à mission« , version française des B Corp, qui pousse encore plus loin le souci de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE), et plus haut que la ‘vision’ classiquement définie dans sa stratégie et les ‘valeurs’ proposées par certaines marques.

Ce concept vise à élargir l’objet de l’entreprise au-delà du seul profit, indicateur de bonne santé mais pas finalité, en considérant l’humain au centre de la mission de l’entreprise « communauté solidaire … doit tendre à une écologie sociale et contribuer au bien commun« .

Pourquoi l’Eglise ? Après Laudato Si‘ salué en 2015 comme un des grands textes sur le développement durable, le pape prend position sur la finance dans Oeconomicae et pecuniariae questionnes en 2018 avec des positions de bon sens qu’on peut retrouver dans bien des cercles non-religieux, appuyées sur des siècles de philosophie et de sagesse – et d’amour. Ainsi, cette définition formulée au Concile Vatican 2 : « le bien commun (est) cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée« .

« La ‘raison d’être’ d’une entreprise sera l’ensemble des conditions permettant aux parties prenantes de s’épanouir au sein de celle-ci afin qu’elle participe à la mise en oeuvre d’une ‘vie bonne’ dans le cadre de la société« .

Les EDC proposent aux entrepreneurs de la définir, sans forcément l’inscrire dans son objet social, à partir de l’intention initiale de ses fondateurs, de sa culture actuelle, d’une ambition future différentiante et d’un engagement choisi vis-à-vis de la société : respect des personnes, des territoires, de l’environnement, etc.

Ce petit cahier propose aussi de réfléchir à sa mise en oeuvre ! En posant, dans une démarche collaborative et participative, une série de questions : Quoi ? Pourquoi ? Pour quoi ? Comment ?

Saluons au passage les mots en gras ci-dessus, au centre du raisonnement Valeur(s) 🙂

Ce travail est proposé comme bon, mais aussi représente une « opportunité de mutation créatrice de valeur » (sic !) pour l’entreprise ! D’un point de vue marketing et commercial d’abord, vis-à-vis des clients potentiels. Pour les fournisseurs aussi, à la recherche de partenaires partageant leurs valeurs. Comme moyen d’identification commune aux dirigeants, managers et salariés. Comme moyen d’attirer ces jeunes talents qui recherchent de plus en plus de sens. Pour aligner les objectifs à long terme de l’entreprise avec ceux de ses actionnaires, enfin …

Bien sûr, le terme de ‘raison d’être’ peut malheureusement être détourné à des fins de ‘blue washing’. Pour prendre un exemple récent, il ne suffit pas que Sanofi se soit défini comme raison d’être de « prévenir les maladies et contribuer à soigner et guérir le plus grand nombre de patients » pour éviter les tensions : post-COVID lesquels sont prioritaires, les Américains qui auraient payé les premiers ou les Européens du futur leader ‘relocalisé’ des principes actifs ? La gouvernance de la raison d’être et sa déclinaison dans chaque décision sont cruciales !

Déployer la ‘raison d’être’ à chaque niveau de l’entreprise

Si le cahier propose quelques questions bien utiles pour faire réfléchir les membres des équipes EDC (et les autres), son déploiement à chaque niveau de l’entreprise est bien plus difficile ! Comment faire pour que toutes les parties prenantes soient impliquées dans la définition ? Que faire quand elles changent : actionnaires, salariés, clients … ou que leurs besoins évoluent ? Comment assurer la cohérence d’une décision locale : achats, embauche, réaction à une crise … avec la raison d’être ? Comment susciter ‘d’en bas’ cette définition ? Peut-on définir une ‘raison d’être’ locale : pour une filiale (comme Danone) , un service (p. ex. les achats), une équipe, un projet … et comment assurer sa cohérence avec celle de l’entreprise globale ?

Mon expérience et les travaux du réseau Valeur(s) & Management montrent que la réflexion sur la ‘raison d’être’ (et ses synonymes) existe depuis longtemps à tous les niveaux des entreprises, où d’autres méthodes et outils Valeur(s) l’outillent. Leurs outils qui se complètent et surtout le paradigme commun qui les sous-tend -voir « Valeur(s) & Management » et « à quoi ça sert ? » – permettraient d’assurer la cohérence global / local et court terme / long terme :

  • La ‘raison d’être’ est une orientation prioritaire vers certaines des parties prenantes que l’entreprise souhaite privilégier, mais leur interdépendance induit que toutes les parties prenantes doivent être satisfaites : par exemple une entreprise pourra se fixer une mission pour l’emploi de handicapés, mais devra pour ce faire aussi satisfaire ses clients, les autres employés, ses partenaires commerciaux et financiers, etc… En tous cas, le choix d’une raison d’être ne peut se passer d’une réflexion sur la durabilité : les impacts à long terme sur l’environnement (planet), les hommes et la société (people).
  • La ‘raison d’être’ peut être définie pour l’entreprise, mais aussi pour toute organisation, ou partie d’organisation, processus, produit/ service … Il suffit pour ce faire de mener le même raisonnement avec/pour les parties prenantes de cette entité. Et de vérifier que la ‘mission’ locale est bien en ligne avec la mission ‘globale’ de l’entreprise à laquelle elle participe. Par exemple, si Emmanuel Faber travaille intensément à faire du groupe Danone une B Corp, certaines de ses filiales le sont déjà.
  • On peut ainsi définir la ‘raison d’être’ (même si d’autres termes sont alors utilisés : but, utilité, valeur, fonction …) d’un produit, d’un service, d’une organisation, d’un SI … en définissant « l’ensemble des conditions permettant aux parties prenantes de s’épanouir (au sein de > grâce à) celle-ci afin qu’elle participe à la mise en oeuvre d’une ‘vie bonne’ dans le cadre de la société » : j’ai depuis 20 ans aidé des centaines de personnes à le faire, voir d’autres articles de ce blog et le ebook « à quoi ça sert ? » (inscrivez-vous ci-contre pour l’obtenir, ou écrivez-moi à odehemmer@valeurstemanagement.com)
  • Jean-Dominique Senard, aujourd’hui chez Renault et co-signataire du rapport qui a mené à la loi PACTE, est aussi à l’origine des travaux de Sara Mandray sur « François Michelin » qui illustrent un « management intégral » où l’homme est mis au centre. Exemple symbolique : il avait choisi d’appeler la ‘DRH’ autrement, pour que les gens y travaillent au ‘Service du personnel’.
  • Chaque décision d’un acteur peut même être prise dans une organisation (ou en privé) en définissant sa ‘raison d’être’ : son impact sur l’utilité pour chacune des parties prenantes impactées. Une démarche très proche du ‘Advice process‘ de Frédéric Laloux, pionnier de ‘l’entreprise libérée’.
  • Jusqu’aux relations entre personnes peuvent être rendues plus efficaces, respectueuses et confortables, en commençant par expliciter la raison d’être d’une rencontre : Interactifs a ainsi formé plus de 120 000 personnes en 30 ans à améliorer leur intelligence relationnelle.
  • La mise en évidence des parties prenantes, de leurs vrais besoins et des moyens d’y contribuer -ou pas- peut être facilitée par la modélisation système des acteurs, de leurs relations, des flux d’échanges …
  • Le même raisonnement peut être posé à des niveaux plus globaux : le « Plan de transformation de l’économie française » proposé très récemment par le Shift Project piloté par Jean-Marc Jancovici se base sur la mise en évidence de finalités : résilience face aux crises et au changement climatique, et se base sur une impressionnante modélisation du système économique français.

Du coup, j’ai envie que vous répondiez à deux questions :

  1. Votre entreprise / organisation a-t-elle/devrait-elle définir sa « raison d’être » ? Laquelle ?
  2. Quelle est votre « raison d’être » dans l’organisation ? Votre rôle dans sa raison d’être ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.